Depuis plusieurs années, je suis modérateur sur plusieurs forums d’esthéticiennes. Je vois donc chaque jour quelles sont leurs souhaits, leurs rêves, leurs ambitions…mais également leurs problèmes. Je vais employer le mot « esthéticienne » systématiquement et par facilité parce que dans la profession, nous, les hommes, ne représentons pas plus de 1% du groupe !
En réalité, le monde de l’esthétique recoupe plusieurs sphères différentes dont les intérêts sont parfois complémentaires mais aussi souvent opposés. On y trouve les professionnelles qui sont soit salariées, soit indépendantes ; les fabricants de matériels esthétiques et de produits ; les écoles, les centres de formation ; les syndicats ; la presse professionnelle ou généraliste ; la clientèle et les satellites qui aident les esthéticiennes ou qui essayent tant bien que mal de se faire de l’argent sur le dos des uns ou des autres.
Commençons par la presse.
La presse généraliste utilise souvent l’esthétique comme bouche-trou. On ne sait pas quoi raconter alors on retrouve ce que les journalistes appellent les « marronniers » : mincir avant l’été, la franc maçonnerie au sein du pouvoir, le lobby gay, les vaccinations… autant de sujet récurrents.
On y présente l’esthétique sous un jour idyllique. L’esthéticienne qui fait un soin du visage à une dame souriante et détendue ou alors une cliente en massage, proche du Nirvana. Il y a làde quoi tenter la jeune fille qui ne peut que rêver devant cette profession ou tout n’est que beauté et senteurs de rêve. En réalité, si elle venait s’immerger une semaine dans un institut, elle verrait très vite qu’on passe une grande partie de notre temps à arracher des poils, à faire le ménage, et pour celles qui ont une clientèle de massage à se casser le dos.
La presse professionnelle est fortement dépendante des publicités : ce n’est donc pas sur elle qu’il faut compter si on veut avoir des informations objectives sur tel ou tel produit, sur un nouvel appareil ou sur une méthode. Souvent, les articles qu’on y trouve sont des publi-reportages qui manquent complètement d’objectivité.
Regardons ce qui se passe du côté des fabricants.
Eux, ils ont un seul but : s’enrichir… et c’est tout à fait normal. On ne va quand même pas leur reprocher d’essayer de bien gagner leur vie ! Donc ils vont sans cesse chercher à créer le produit nouveau ou l’appareil miraculeux.
Quand ils auront cette nouveauté il leur faudra convaincre l’esthéticienne qu’avec ce produit ou cet appareil elle obtiendra des miracles, qu’elle augmentera sa clientèle, avec de nouvelles possibilités de ressources et l’affaire est entendue.
Et si on ne trouve pas de nouveauté, on va ressortir l’appareil ou le produit qui avait été lancé vingt ans plus tôt, en se disant que très peu d’esthéticiennes durent aussi longtemps et qu’on pourra piéger la nouvelle génération. Il est évident qu’il n’y a aucune raison que ce qui ne marchait pas il y a vingt ans marche mieux aujourd’hui, mais en attendant que ça se sache on peut caser son stock.
Etant dans la profession depuis un demi-siècle, j’ai régulièrement vu revenir les mêmes appareils et les mêmes produits sous un nouveau packaging. Il y a aussi ce qui fut un temps l’appareil « miracle » des kinés, qui ne se vend plus chez eux et qu’on propose (avec un look plus féminin) aux esthéticiennes. On se garde bien de leur expliquer pourquoi les kinés y ont renoncé !
Les écoles.
La plupart des écoles et des centres de formation sont privés, donc a but lucratif. Ce n’est donc pas de ce coté qu’il faut non plus chercher une information objective. Je n’ai jamais entendu une directrice d’école expliquer à une maman qui vient inscrire sa fille (et qui payera dans les 6000 euros) : « Vous savez madame, on forme en France entre 18000 et 20000 esthéticiennes par an et le marché n’offre que 3500 nouveaux postes. A un horizon de 10 ans, il y a 80% des diplômées qui ont dû changer de métier. Moi, ce serait ma fille, je lui conseillerais immédiatement une formation de technicienne de surface ».
En plus, la gamine rêve depuis des mois « de maquiller des stars » ! On ne va quand même pas la décevoir ni lui expliquer que, malgré toutes les émissions de téléréalité, des stars, il n’en sort pas des milliers par an !
On voit donc sur nos forums des personnes qui, après des années de travail n’arrivent pas à se dégager le montant d’un SMIC, et que la durée de vie d’un institut n’est souvent que de 3 ou 4ans.
Les syndicats.
Il y a principalement 2 syndicats : un qui regroupe les esthéticiennes et l’autre qui regroupe « le monde le l’esthétique ».
Dans le second on a les écoles, les fabricants, les commerciaux… donc des personnes qui n’ont pas les mêmes préoccupations que l’esthéticienne de base. Ils ne sont pas opposés par exemple à un énorme retour en arrière de la profession : le diplôme de marque. Quand j’étais jeune, on pouvait ouvrir un institut avec une formation (souvent de 10 jours maximum) au sein d’une marque. De nos jours, la CNAIB a fait changer les choses et il faut désormais un CAP d’esthétique pour ouvrir. Mais de grandes marques ont détourné cette loi en inventant de nouveaux métiers improbables en formant des personnes sur un appareil spécifique ou avec des produits particuliers. On peut ainsi être « endermologue » et pratiquer des soins amincissants sans aucun diplôme reconnu. On peut également ouvrir un « bar à ongle », un « bar à sourcils », un « centre du sourire » ou même un centre d’épilation avec appareil sans aucun diplôme reconnu. Les esthéticiennes sont donc confrontées à une concurrence directe sans avoir la possibilité de réagir. Elles ont fait des mois d’étude pour rien, la loi est régulièrement détournée.
Et je ne parle pas des centres de bien-être et de massages qui mériteraient un livre à eux seuls !
Je pense, mais cela n’engage que moi, que la CNAIB s’est aussi parfois trompé de buts et de cibles. Quand je reçois les formations proposées, j’ai l’impression d’assister à une fuite en avant alors qu’il faudrait parfois revenir aux fondamentaux.
Les esthéticiennes s’installent trop souvent sans aucune base sérieuse en comptabilité. Elles ne savent pas tenir un carnet recette-dépense et confondent le chiffre d’affaire avec le bénéfice. Elles s’inscrivent en auto-entrepreneur alors que c’est très souvent la pire des solutions. Quant au niveau pratique, on leur propose par exemple une cinquantaine de massages différents alors que la grande majorité d’entre elles (et malheureusement des formateurs aussi) ignore les bases de l’anatomie, ce qu’est un réflexe, un arc réflexe, une chaîne ostéopathique, une chaîne musculo-aponévrotique… On dissimule alors ces lacunes derrière des mots ouatés qui font rêver : le fluide, l’énergie, le magnétisme … on revient au XVIIIe siècle pour ne pas dire au Moyen Âge !
On voit également de nombreuses professionnelles qui font des erreurs grossières même dans la simple pratique de l’épilation : il s’agit pourtant là d’une base fondamentale du métier et pourtant, des formations seraient très souvent plus que nécessaires en ce domaine.
Les esthéticiennes.
Elles sont l’élément central de la profession, à la fois actrices et victimes.
Oui, victimes du contexte médiatique, des commerciaux, de la mode…autant de pressions qui les poussent parfois à se laisser embarquer dans une aventure que très rapidement elles ne maitrisent plus et les mène au désastre.
Elles achètent ainsi très cher des appareils qui ne donnent pas les résultats escomptés. Elles se retrouvent avec des stocks de produits, parce que la marque exige l’achat d’une certaine quantité pour une « ouverture de compte », sans parvenir ensuite à les écouler. Elles suivent également des formations bidon qui ne leur apportent rien au niveau clientèle.
Lorsqu’on s’installe, on est pris dans un tourbillon, entre ce qu’on voit dans la presse, au Congrès, à la télé… ce qui nous est demandé par la clientèle qui passe son temps sur internet, ce qui nous est proposé par les commerciaux. Il est difficile de rester les pieds sur terre et, quand on décolle, il faut tenir et rester vigilant sous peine de très vite retomber et s’écraser ! C’est malheureusement ce qui arrive très régulièrement dans la profession, avec une conséquence inattendue qui est aujourd’hui la difficulté pour une esthéticienne d’obtenir par exemple un prêt bancaire.
Les satellites.
Et oui, la profession compte aussi ses satellites ! Certains sont positifs, d’autres le sont moins.
Comme il existe des satellites qui nous aident à mieux vivre, nous avons dans la profession des sociétés qui nous apportent une aide. C’est par exemple la société UDEF dont le but est de regrouper un maximum d’esthéticiennes pour obtenir des remises chez les commerçants, les fabricants et même les centres de loisir. Il s’agit d’une centrale d’achat pour professionnelles de la beauté. Les personnes qui en font partie réalisent vite ce qu’elles peuvent en tirer comme bénéfices et il y a fort à parier que les boites seront de plus en plus nombreuses à chercher à devenir partenaires.
Nous connaissons tous également les satellites-espions, dont la vocation est moins sympathique à nos yeux. Nous en avons pourtant dans la profession !
Parmi les plus connus d’entre eux, je citerai le groupe « Groupons ». Celui-ci permet à l’esthéticienne de se faire connaitre grâce à une publicité importante, mais en bradant son savoir-faire par une prestation à bas prix. En effet, elle travaille ainsi souvent presque à perte car la clientèle « Groupons» ne se fidélise que très peu. Elle recherche avant tout la bonne affaire avec un prix attractif, et partira très vite sur la nouvelle offre qui lui semblera attirante. Par exemple, un massage à 70 euros proposé sur « Groupons » à 35 euros ne rapportera que moins de 30 euros à l’esthéticienne. A ce prix, il n’est pas évident qu’elle couvre ses frais et elle risque ensuite de se retrouver face à une demande de personnes qui la considéreront comme une voleuse le jour où elle demandera le juste prix.
Il y a encore tous ces annuaires totalement inutiles qui tentent de séduire les esthéticiennes en leur proposant, contre monnaie sonnante et trébuchante, de figurer en bonne place dans un annuaire parfaitement inconnu et que personne ne consulte jamais !
Bilan.
Le résultat de tout cela est qu’il est très difficile de s’y retrouver et d’y voir clair ! Il faut bien convenir que ce n’est pas toujours, hélas, du gagnant-gagnant. Le syndicat des professionnels a tout intérêt à maintenir un flou plus ou moins artistique sur les réglementations et de nombreuses professionnelles s’y laissent prendre. Les écoles n’ont pas davantage intérêt à jouer le jeu de la franchise non plus. La presse, quant à elle, est plus ou moins muselée. Les syndicats bénéficient d’aides de la presse et des fabricants donc ils n’ont pas les coudées franches. C’est un gros panier de crabe dans lequel l’esthéticienne sert d’appât ! Et elle n’a trop souvent ni la formation ni les connaissances suffisantes pour se défendre.
Alors que faire ?
Je pense qu’il faudrait déjà imposer aux esthéticiennes qui vont s’installer une formation d’un niveau plus élevé. On peut être un excellent professionnel sans être capable de gestion et, dans ce cas, on court directement au casse-pipe !
On peut avoir une main de fée et se laisser berner sur les possibilités de résultats de tel ou tel appareil. On peut avoir un toucher en or sans pour autant ignorer les bases scientifiques et techniques des soins que l’on prodigue. On lit très régulièrement sur les forums « mais les dermatos, qu’est-ce qu’ils ont de plus que nous ? » et j’ai souvent envie de répondre (mais je me ferais insulter) « Juste 8 ou 10 ans d’études ! ». Sans en arriver là, il serait bon que la formation professionnelle évolue et n’en reste pas au niveau où elle en est actuellement.
Il faudrait une législation plus rigoureuse et, avant d’essayer d’obtenir telle ou telle compétence nouvelle, sécuriser celles qui nous sont retirées régulièrement.
Je suis persuadé qu’on devrait laisser plus librement s’exprimer dans la presse professionnelle des personnes qui ne caressent pas les financeurs dans le sens du poil ! Il n’y a que dans la presse et les revues papier glacé que l’on est dans le monde de Bisounours : la réalité nous remet vite les pieds sur terre.
Je me souviens, après la sortie d’un nouvel appareil, avoir proposé un article qui expliquait pourquoi il ne pouvait pas fonctionner. Cet article avait été refusé pour ne pas faire peur aux autres qui faisaient de la pub sur la revue. Je suis passé dans l’émission télévisée E=M6 où j’ai donc expliqué l’escroquerie. J’ai reçu nombre de menaces à la fois de la part de vendeurs et d’esthéticiennes qui avaient déjà acheté ce matériel et, même pas 6 mois après, il était retiré du commerce ! Un regard un peu plus critique de la part des professionnelles de l’esthétique aurait pu leur éviter ce piège et ses conséquences financières.
Il faudrait informer les esthéticiennes des embuscades dans lesquelles elles risquent de tomber. Il y a les arnaques que l’on connait tous et, sur les forums, quand une esthéticienne vient demander de l’aide, les autres la mettent vite au courant mais cela n’empêche pas très régulièrement d’autres de tomber dans le panneau. Et puis il y a les arnaques plus subtiles. Je me souviens d’une maison, aujourd’hui disparue, dont standardistes jouaient les commerciales forcenées. Lorsqu’on les appelait pour prendre des renseignements sur un appareil, elles ne cessaient ensuite de téléphoner à l’institut en se faisant passer pour des clientes souhaitant un soin nécessitant d’avoir le dit appareil. Quand l’esthéticienne avait refusé plusieurs soins parce qu’elle n’avait pas cet appareil, elle craquait et l’achetait et, du jour au lendemain, il n’y avait plus aucun appel ni aucune demande de rendez-vous. J’avais alors dit à mes élèves et stagiaires : « Dites que vous an avez un d’occasion qui va arriver la semaine suivante » et cela fonctionnait : plus d’appels !